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La Grèce
1 Situation géographiqueLa Grèce (Ellada ou ????da) est un État du sud-est de l’Europe occupant l’extrémité de la péninsule des Balkans qui s’avance dans la Méditerranée. Le pays est limité au nord par l’Albanie, la république de Macédoine (en anglais: FYROM, ancienne République yougoslave de Macédoine) et la Bulgarie, à l’est par la Turquie.
On constate que les régions administratives (voir la carte) correspondent en fait aux régions antiques, coïncidence cultivée par le jeune État grec. Certaines seulement sont trop petites pour devenir une région administrative moderne et ne représentent qu'un nome (nomos ou «département»). Par exemple, la Béotie (Viotia en grec), la Phtiotide ou l'Elide. Seul le terme de Dodécanèse est un nom moderne. Dans l'Antiquité, il s'agissait des Sporades du Sud. De même pour l'Eptanèse (îles de la Mer ioniennes). Les 13 régions administratives actuelles sont les suivantes:
Les régions administratives sont elles-mêmes subdivisées en 51 nomes (ou nomoi: une sorte de «département» à l'exemple de la France, plus précisément une «préfecture») partagés en 147 éparchies (ou «arrondissements»), regroupant des dèmes (ou fusions de communes comptant plus de 10 000 habitants) et des communes. Ce sont les nomes qui forment la structure administrative de base de la Grèce d'aujourd'hui. Les «régions» créées par décret présidentiel en 1987 ne disposent que de très faibles pouvoirs se limitant à un rôle d'évaluation et de contrôle des nomoi.
2 Données démolinguistiquesLa grande majorité des habitants de la Grèce parlent le grec comme langue maternelle dans une proportion de 90 % environ. C’est donc un pays relativement homogène sur le plan linguistique, puisqu’il ne reste que 10 % de la population à parler des langues minoritaires, sans compter les 500 000 ou 700 000 immigrants dits «illégaux» (soit 7 %). Le grec est également parlé par la diaspora dans le monde de la part des Grecs (au moins six millions) qui ont émigré pour des raisons politiques ou, beaucoup plus communément, pour des raisons économiques, soit en Allemagne (400 000), aux États-Unis, en Australie, en Grande-Bretagne, au Canada ou ailleurs. 2.1 La langue grecque: bref historique Le grec d'aujourd'hui est une langue indo-européenne issue du grec ancien. Ce dernier est probablement la plus ancienne langue indo-européenne attestée en Europe. La formation du grec ancien a commencé vers le IIe millénaire avant notre ère. Les premiers documents de l’époque mycénienne datent de 35 siècles; les poèmes d’Homère (VIIIe avant notre ère) ont été transcrits à l’aide d’un alphabet emprunté aux Phéniciens qu’on appelle aujourd’hui l’alphabet grec (voir la description détaillée de cet alphabet). On dit que la langue grecque trouverait ses racines dans la langue des peuples helléniques qui seraient venus par des vagues successives vers 1200 avant notre ère, mais ce n'est pas sûr. De plus, selon les théories vieillissantes, les premiers Grecs parlaient le dorien; or, c'est le dialecte attique qui l'a remporté, lequel appartient à la famille des dialectes ioniens. De même, on ne sait pas si les différents dialectes régionaux représentaient les différentes vagues d'envahisseurs. Ce sont des théories globalement anciennes et que l'on ne rappelle plus qu'entre parenthèses dans les universités grecques. Le grec ancien était fragmenté en plusieurs variétés dialectales réparties en quatre groupes correspondant aux vagues successives des invasions indo-européennes: l’éolien (parlé en Thessalie, en Béotie et en Asie mineure), l’ionien avec son sous-dialecte l'attique (Attique, Eubée, Cyclades et Asie mineure), le dorien (Laconie, Crète, Rhodes, Thêra, Achaïe, Étolie, Épire, Sicile) et l'arcado-chypriote appelé aussi l’achéen (Mycènes et Cnossos, Arcadie, Chypre). C’est l’attique des Athéniens, qui devint progressivement la langue commune des Grecs et qui s’est substitué à tous les autres dialectes à partir du IVe siècle avant notre ère. Déjà, au cours de cette époque, l'attique exerçait une grande influence dans tout le monde grec et servait de langue de référence pour écrire la prose. Celui qu'on surnomma le «père de l'histoire», Hérodote (-484 à -425) rapporte ces propos: «Nous appartenons à la même race, et nous parlons la même langue, nous honorons les mêmes dieux avec les mêmes autels et les mêmes rituels, et nos coutumes se ressemblent.» L'attique a servi de base à la langue commune (koinè), et ce, dans un processus qui débuta au IVe siècle avant notre ère. Jusqu'en 700 avant notre ère, les Grecs écrivaient de droite à gauche à l'exemple des langues sémitiques (comme l'arabe). L'écriture s'écrivit de gauche à droite à partir de l'an -500. - La koinè grecque Au cours du IVe siècle, en raison de la multiplication des contacts et des conquêtes macédoniennes d'Alexandre le Grand (-356 à -323), il se développa, parallèlement aux langues existantes et un peu partout dans le monde grec, une langue parlée et écrite réunifiée. Il s'agit de la koinè, une langue grandement influencée par l'attique mais aussi par d'autres dialectes (ionien, béotien, dorique, etc.). La koinè devint la langue de la cour, de la littérature et du commerce dans tout l'empire hellénistique. Toutefois, cette langue se scinda en deux variantes: d'une part, la koinè littéraire, d'autre part, la koinè vernaculaire. La première resta l'apanage des classes instruites de la société, lesquelles véhiculèrent une vie intellectuelle et artistique intense, capable d'exprimer autant la philosophie que les sciences. Quant à la langue vernaculaire, elle fut moins influencée par les classiques et s'enrichit sur le plan lexical de nombreux emprunts aux langues étrangères du Proche-Orient. On peut croire que les Romains avaient imposé le latin lorsque la Grèce devint un protectorat romain en 146 avant notre ère, mais ce ne fut pas le cas. Au contraire, l’étude du grec classique devint obligatoire pour tout Romain instruit, tandis que cette langue continua d’être très répandue, parallèlement au latin, dans tous l’est de l’Empire romain. Néanmoins, l'expansion du latin arrêta définitivement la progression du grec dans le monde. C'est la koinè littéraire grecque qui s'est développée dans le monde médiéval et devint ce qu'on a appelé le «grec byzantin». Cette variété de grec est devenue la langue officielle de l’Empire byzantin dès le VIe siècle, alors qu'auparavant c'était le latin. Aujourd'hui, de nombreux linguistes ont donné le nom de koinè à toute langue commune se superposant à un ensemble de dialectes ou de parlers sur une aire géographique donnée. Le déclin de l'Empire byzantin après 1400 fut marqué par la fragmentation de son territoire en petits États indépendants. La koinè littéraire resta figée, alors que la langue vernaculaire éclata en de nombreux dialectes locaux et fut soumise aux influences du bulgare, de l'albanais, du turc, du vénitien, etc. Sous l’occupation ottomane, qui a duré quelques siècles (1453-1821), le grec vernaculaire prit lentement une autre forme: le démotique ou dêmotikê (en grec dimotiki ou dhmotiki), c’est-à-dire la «langue parlée par le peuple» (<demos : «peuple»), une langue grecque influencée par des emprunts au latin, au turc et aux langues slaves, mais aussi au français et à l'italien. C'est surtout au XIXe siècle que le français exerça une grande influence sur le grec démotique. Mais c'est sur la langue écrite, la katharevousa, qu'on s'est appuyé pour redonner à la Grèce une langue nationale commune. Les principales différences entre le grec ancien et le grec moderne (démotique) ont trait aux déclinaisons (abandon du datif et du duel), aux conjugaisons des verbes et au vocabulaire (emprunts massifs du démotique à l'italien, au turc et au français). - La «guerre linguistique»: démotique et katharevousa Avec la création de l’État grec en 1830, le gouvernement, désireux de s’affranchir de la domination ottomane, adopta comme langue officielle la katharevousa, c’est-à-dire la «langue épurée», une variété savante, puriste, archaïsante et défendue par des idéologues réformateurs, dont Adamantios Koraïs (1748-1833) demeura le plus ardent purificateur linguistique. Les campagnes menées par les puristes furent tellement déterminantes que le gouvernement adopta la katharevousa comme langue de l'État. Elle fut utilisée dans tous les domaines de la vie publique, notamment dans la vie politique, le droit et la justice, l’administration, la religion et l’enseignement. Cette langue devint également l'un des facteurs d'unification de la «nouvelle nation purifiée» de ses ajouts turcs, slaves et albanais accumulés lors de l'occupation ottomane (voir la carte de l'empire ottoman). Le peuple, pour sa part, a toujours continué à parler le démotique dans la vie quotidienne. Au début du XXe siècle, des écrivains, notamment des poètes, s'élevèrent contre l'usage de la katharevousa qu'ils considéraient comme une langue «artificielle» et «momifiée». Le combat fut féroce entre les deux tendances, car la langue devint un facteur idéologique opposant les tenants du démotique (les «démotiquistes») et ceux de la katharevousa (les «puristes»). Certains Grecs adoptèrent même le démotique comme langue littéraire, mais ne purent éliminer pour autant la katharevousa. On compta même plusieurs variétés de katharevousa, car, selon les écoles de pensée, de nombreux linguistes et écrivains propagèrent différentes variétés de cette langue. Le phénomène se répéta avec le démotique puisqu'on devait parfois choisir, par exemple, un mot parmi différentes formes dialectales possibles. Ainsi, le mot «père» se disait kurès, tsurès, patera, afentès, etc., mais ce fut finalement patera qui l'emporta (en katharevousa: patir). D'autres introduisirent la grammaire du démotique tout en supprimant tous les mots d'origine étrangère. Durant une bonne partie du XXe siècle, la Grèce vécut une véritable «guerre linguistique». Lentement, une langue mixte a pris forme, car les deux variétés s’influencèrent l’une l’autre. Néanmoins la katharevousa n'influença que fort peu le démotique, mais certains mots et expressions katharevousa se sont introduits en démotique. Dans la réalité, la katharevousa resta une langue morte, utilisée surtout pour la rédaction des documents officiels ou pour prononcer des discours solennels, mais jamais pour la conversation quotidienne. Malgré tout, la plupart des gouvernements grecs ont bien tenté de faire triompher la «langue pure», la katharevousa, mais le retour de la Grèce à la démocratie en 1975 entraîna l’échec définitif de la réforme des puristes, au grand dam de l'Église orthodoxe. Voici quelques exemples pour illustrer des différences entre le démotique et la katharevousa.
De façon générale, beaucoup de mots diffèrent entre le démotique et la katharevousa, mais également la grammaire. On peut dire que la katharevousa se rapprochent davantage du grec ancien et qu'il a tendance à supprimer tout emprunt aux langues étrangères. Enfin, la katharevousa présentait diverses variantes en fonction des écoles de pensée.
Comme quoi le ridicule ne tue point, le conservatisme linguistique des milieux ecclésiastiques est parfois complètement délirant, mais pas partout, en particulier à Chypre où les politiciens parlent toujours la katharevousa. En Grèce, il est toujours défendu (par décret synodale) de lire la Bible en grec moderne pendant les services liturgiques dans les églises. L'Ancien Testament doit être lu en grec ancien (le texte originel), et le Nouveau Testament en koinè littéraire, toujours sans traduction. Les textes en koinè grecque restent plus ou moins compréhensibles pour la population, alors que les autres formes du grec ancien demeurent très difficilement accessibles pour le commun des mortels. Ajoutons à tout cela que les autres textes de la liturgie étaient et sont écrits en grec byzantin littéraire (donc fortement alignés sur la langue classique attique). Même les nouveaux textes (par exemple, pour des saints récemment canonisés) sont écrits uniquement dans cet idiome, dont la compréhensibilité est presque nulle pour les Grecs qui n'ont pas étudié la langue ancienne. - Le démotique comme langue officielle L'État grec s'est dissocié de ce «délire puriste» lorsqu'il adopta en 1976 le démotique comme langue officielle de la Grèce et lui accorda une place privilégiée dans l’éducation et l'Administration. Pendant ce temps, la presse, tant écrite qu’électronique, contribua à sa façon au processus de la disparition de la «langue pure». L'Administration utilisa durant un certain temps la variété katharevousa dans les documents officiels et juridiques, mais le démotique finit par supplanter complètement la «langue morte». En 1981, le gouvernement de Papandreou introduisit une réforme de l’orthographe en supprimant le système désuet des accents (trois sur quatre), seul l’accent tonique étant maintenant conservé. Bien que les trois accents supprimés ne correspondaient plus à aucune réalité phonétique, beaucoup de Grecs réagirent négativement à voir disparaître ce qu’ils estimaient être l’un des aspects importants du patrimoine linguistique grec. Les milieux conservateurs, notamment parmi les ecclésiastiques, continuent d'écrire et d'imprimer les accents traditionnels. Cela dit, certains disent regretter la disparition d’un idiome extrêmement flexible, nuancé, avec des formes participiales d’une richesse extraordinaire, sans commune mesure avec la «pauvreté analytique» de la plupart des langues européennes modernes. Aujourd'hui, il est même interdit en Grèce de rédiger un document officiel en katharevousa. Il peut arriver que certains groupes conservateurs, en particulier dans l'Église orthodoxe grecque, utilisent parfois un style emprunté à la katharevousa; par exemple, les documents patriarcats et synodaux sont rédigés dans ce style archaïsant. Pour le reste, la katharevousa est vraiment disparue en Grèce (ainsi qu'au sein de la communauté grecque de Chypre). Généralement, quiconque parlerait ou écrirait en Grèce la katharevousa ferait aussitôt l'objet de moqueries. Cela dit, la plupart des régions rurales de la Grèce, notamment dans les îles, ont conservé leur dialecte local (d'origine plus moderne que les dialectes de l'ancienne Grèce) dont certains sont encore très employés. Cependant, ces variétés dialectales ne sont jamais employées dans la langue écrite, sauf parfois dans la littérature ou pour exprimer un effet particulier. Évidemment, le système scolaire très centralisé de la Grèce, de même que l'avènement de la télévision et de la diffusion du cinéma, ont eu pour effet de réduire considérablement l'emploi des variétés dialectales dans les zones rurales. Il subsiste quand même des différences d'accent et des mots locaux dans toutes les régions du pays. Enfin, étant donné que la langue grecque s’écrit avec un alphabet différent de l’alphabet latin plus familier aux étrangers, l'État a prévu deux versions pour transcrire la langue dans les endroits publics : l'une, en alphabet grec traditionnel, l'autre, en alphabet latin surtout pour l’anglais (mais aussi le français et l’allemand). Dans les grandes villes, de même que dans les lieux touristiques, les panneaux des rues portent généralement un double alphabet : l’un en alphabet grec, l’autre en alphabet latin. Bien que cette pratique semble plutôt systématique, les touristes prudents sont mieux d'apprendre les rudiments de l'alphabet. 2.2 Les langues minoritaires Pour ce qui est des minorités (plus d'un million de personnes, soit environ 10 % de la population), le problème devient relativement complexe en raison des implications que cette notion revêt en Grèce. D’une part, les faits démontrent qu’il existe au moins huit minorités linguistiques nationales (le turc, l’albanais, le macédonien, le bulgare, le pomaque, l’aroumain, le tsigane, l’arménien et le ladino), d’autre part, celles-ci n’existent pas au plan juridique, sauf pour la minorité turque de religion musulmane en Thrace (occidentale), qui bénéficie de certaines protections en vertu du traité de Lausanne de 1923. Un autre problème provient de l’absence de tout recensement linguistique récent, car le dernier date de 1951. Cela signifie que tout dénombrement actuel d’ordre linguistique ne peut reposer que sur des approximations. Néanmoins, il est possible de dresser un tableau schématique présentant neuf minorités (huit sur le plan linguistique), comptant environ un million de personnes:
- Les minorités «turques» Pour l’État grec, les Turcs, les Pomaques et les Tsiganes appartiennent à la même communauté: les musulmans turcophones. Au point de vue social, le turc se situe à l’échelon le plus élevé, suivi du pomaque et, en tout dernier, par le tsigane. En réalité, la situation socio-économique des Tsiganes en Grèce est simplement inacceptable et le gouvernement grec reconnaît qu’il a «beaucoup de chemin à parcourir pour remédier à la situation». Les minorités turques comptent deux grandes communautés distinctes: les Turcs musulmans (env. 30 000), d’une part, les Turcs orthodoxes (env. 90 000), d’autre part. Les premiers, qui habitent la Thrace (dite occidentale) et bénéficient d’un statut reconnu par le traité de Lausanne (1923), ce qui leur permet de conserver leurs institutions religieuses. Les seconds résident à l’ouest, en Grèce du Nord, et ils ne jouissent d’aucun statut. Parmi ceux qu’on identifie comme musulmans reconnus, on doit distinguer les Turcs, certains Tsiganes et les Pomaques. La langue turque parlée par les Turcs de Thrace est parfois appelé le «turc de Thrace» parce qu'il diffère un peu du turc officiel de Turquie. Les Pomaques (env. 30 000 à 40 000) constituent une minorité musulmane identifiée aux Turcs de Thrace; ce groupe parle une variété dialectale du bulgare méridional (langue slave) appelé pomaski ou pomatski, et évoluant en dehors de tout contact avec le bulgare officiel, au point où l’on peut parler de deux langues distinctes; c’est une langue très influencée par le turc de Thrace. Auparavant, la plupart des Pomaques s’identifiaient eux-mêmes comme des Turcs avec lesquels ils partageaient le même territoire et la même religion. Aujourd'hui, beaucopup veulent être reconnus comme des Pomaques, une revendication contre laquelle le consulat de Turquie à Komotini essaie d'intervenir pour des raisons évidentes. Les Tsiganes forment probablement une communauté de quelque 300 000 personnes, mais on ignore la proportion exacte de ceux qui parlent encore la langue tsigane (groupe indo-iranien). Selon toute probabilité, une grande partie d’entre eux parlent le turc comme langue maternelle — peut-être 50 % —, et ce, depuis plusieurs générations. Les Tsiganes sont éparpillés dans toute la Grèce, mais ceux qui parlent encore le tsigane habitent surtout le département de Xanthi en Thrace. Les Tsiganes sont chrétiens ou musulmans. Selon des sources gouvernementales grecques, le recensement (non linguistique) de 1991 révèle que le nombre de musulmans habitant dans la Thrace occidentale serait de 97 700 personnes, dont 54 % d'origine turque, 34 % d'origine pomaque et 12 % de Gitans (Tsiganes). - Les Albanais Les autres minorités non turques n’ont jamais obtenu quelque statut que ce soit en Grèce. Ce sont les Albanais, les Aroumains, les Macédoniens, les Bulgares et les Arméniens. On distingue deux groupes d'Albanais : les Arvanitès (arbërishtja) ou Gréco-Albanais, constituant une minorité orthodoxe parlant l’albanais arvanite, et les Albanoi originaires d'Albanie, de confession musulmane et parlant l'albanais tosque. Ces derniers ne constituent pas une minorités nationales, mais font partie des immigrants. Il est possible que la minorité linguistique albanaise compte présentement jusqu’à 300 000 membres, en raison de la récente vague de réfugiés économiques en quête de travail. Beaucoup de Gréco-Albanais de vieille souche ne parlent plus leur langue ancestrale, soit l’albanais arvanite apparenté au tosque. On estime que 50 000 Arvanites (sur 140 000 de vieille souche) seulement parleraient encore cette langue albanaise hellénisée. Les Albanais sont éparpillées dans plus de 200 villages, surtout en Grèce centrale et méridionale (Attique, Eubée, Cyclades, etc.), mais aussi en Épire (où l’on trouve des albanophones chrétiens parlant le dialecte tcham) et en Thrace occidentale. Au cours des siècles, les Arvanites se sont grécophonisés et hellénisés de plus en plus, ainsi que le leur permettaient à la fois leur religion chrétienne orthodoxe et les traits culturels qu'ils partageaient avec les autres peuples balkaniques. - Les Aroumains (Valaques) Il existe aussi dans le pays une minorité de langue romane: les Aroumains que les Grecs appellent généralement Valaques (Vlachos). Ce terme dépréciatif pour désigner les Aroumains de Grèce provient du grec eisai vlakias et signifie «tu es stupide», mais en albanais le mot Vlahos est neutre et signifie «frère». Linguistiquement, l'aroumain fait partie des dialectes roumains du Sud avec le mégléno-roumain et le macédo-roumain, et l’intercompréhension avec le roumain officiel (un dialecte du Nord) est rendu difficile; c’est pourquoi on parle de langues distinctes. Les Aroumains de Grèce habitent dans les régions montagneuses de la Thessalie, de l’Épire et du Pinde, ce qui leur a permis de conserver leur langue durant quelques siècles, malgré la présence du grec, du turc et des langues slaves. Après les guerres balkaniques de 1912-1913, la Grèce a reconnu les Valaques (ou Vlachos) comme une minorité à la suite de la signature du traité de Bucarest (1913); la Roumanie a même financé quelques écoles valaques. Mais après la Seconde Guerre mondiale, la Roumanie communiste a cessé toute aide financière aux communautés valaques de Grèce, car celles-ci étaient perçues comme anti-grecques par le gouvernement grec. Aujourd’hui, l'omniprésence du grec et la hellénisation de la culture aroumaine ont certainement été des facteurs déterminants dans l'affaiblissement de cette langue considérée par le Conseil de l’Europe comme en grand danger d’extinction, avec seulement quelque 50 000 locuteurs de l’aroumain. Par ailleurs, l’Institut sociolinguistique catalan de Barcelone estime que la Grèce compterait une communauté ethnique de quelque 200 000 Aroumains; pour sa part, l’Association des Aroumains français affirme dénombrer plus de 600 000 Aroumains en Grèce, ce qui semble peu probable. Or, le recensement officiel de 1951 ne faisait mention que de 25 000 «Grecs valacophones», c’est-à-dire des Grecs parlant le valaque (aroumain). Bref, il est réaliste de croire à une communauté aroumaine de 200 000 membres dont 50 000 locuteurs de la langue. Les autorités grecques considèrent maintenant les Aroumains (toujours appelés Valaques par les Grecs) comme faisant partie intégrante de la population grecque. Ils parlent la langue nationale sans difficulté, ils ont adopté les moeurs grecques et ils s’identifient comme des Grecs. Comme le traité de Lausanne de 1923 engageait la Grèce à accorder des droits aux minorités religieuses autres qu’orthodoxes, les Aroumains n’ont pas bénéficié de tels droits puisqu’ils sont de religion orthodoxe grecque. Les Aroumains de Grèce sont généralement considérés comme une minorité assimilée. - Les Bulgares À la frontière de la Macédoine de l’ex-Yougoslavie et de la Bulgarie, c’est-à-dire dans la région administrative grecque de Macédoine occidentale (plus précisément dans la région de Florina), habitent des Slaves macédoniens et des Bulgares, sans oublier les Pomaques qui parlent une variété de bulgare. Pour l’État grec, il n’existe pas de minorité dite macédonienne ou bulgare. On parle plutôt de Grecs slavophones, car les Grecs n’ont jamais admis qu’il puisse exister une langue macédonienne distincte de la langue bulgare. Rappelons qu’au point de vue linguistique le macédonien actuel puise ses racines dans la langue liturgique de l’ancien slavon du Xe siècle, un idiome dont est également issu le bulgare. Le vieux slavon occupe la même place en bulgare que la katharevousa en Grèce. Cette langue est le troc de base du bulgare et a influencé le serbo-croate ainsi que le russe par l'entremise de l'Église orthodoxe. Le bulgare, tout comme le grec, n'existait qu'à l'état dialectal au XIXe siècle, parmi lequel on comptait le dialecte bulgare de Macédoine ou le dialecte de Roumélie (ou dit aussi «bulgare de l'Est», reconnaissable à son accent «mouillé » plus proche du russe). Cette filiation directe issue du dialecte macédonien avec le vieux slavon date des mouvements autonomistes de la fin du XIXe siècle dans cette région. Par la suite, cette lecture historique a été cultivée par le maréchal Tito de l'ancienne Yougoslavie, qui avait reconnu et standardisé le macédonien en 1944. Aujourd’hui, la langue macédonienne officielle de la république de Macédoine n'est pas très éloignée du bulgare, bien qu'il ait conservé davantage de traits archaïsants par rapport au bulgare officiel. Il est malaisé de savoir précisément combien de locuteurs parlent le macédonien et le bulgare en Grèce du Nord, car beaucoup de slavophones auraient délaissé leur langue pour le grec. On sait que les slavophones atteignent probablement les 250 000 ou 300 000 et que 77 % des Gréco-Macédoniens auraient une certaine connaissance du macédonien. Il est probable aussi que quelque 30 000 Gréco-Bulgares puissent parler le bulgare. En tant que membres d’une confession orthodoxe, les slavophones de Grèce ne sont pas considérés comme une minorité. - Les Juifs Mentionnons aussi une petite communauté juive qui, bien que décimée par les déportations allemandes de la Seconde Guerre mondiale, compte encore quelques milliers de membres à Thessalonique (encore 2000 et 3000 personnes sur un total de 5000). Avant 1944, la communauté juive comptait bien quelque 50 000 membres. Les Juifs parlent le ladino, une langue apparentée au castillan et parlée à l'origine par les Juifs espagnols depuis 1492. - Les Arméniens La dernière minorité citée est celle des Arméniens (famille indo-européenne) au nombre d’environ 20 000 personnes. Les ancêtres de cette petite communauté sont originaires de la Turquie qu’ils ont fuie lors du génocide de 1915. dans un premier temps, ils se sont réfugiés pour la plupart en Thrace, mais il n'en existe plus depuis les années cinquante, ayant émigré vers d'autres régions grecques, dont Athènes. Enfin, le gouvernement grec admet désormais qu'il y aurait dans le pays entre 500 000 à 700 000 immigrants dits illégaux, soit approximativement 7 % de la population. Autrement dit, il semble que la Grèce soit passée d’un pays d’émigration — au moins cinq millions de Grecs se sont expatriés — à un pays d’immigration. Ce changement subit n'est certainement pas étranger à la vague de xénophobie qui s'étend dans le pays, mais ce n'est pas le seul facteur à considérer. 3 La langue, la religion et l’hellénismeEn Grèce, la religion, la langue et la citoyenneté grecque ne font qu’un. Autrement dit, un citoyen grec pratique nécessairement la religion grecque orthodoxe et parle obligatoirement la langue grecque; il doit aussi croire à l’hellénisme, développé surtout à l’époque de l’empire d’Alexandre le Grand, mais qui est cinq fois millénaire en Grèce. Dans les années vingt, toute personne qui ne satisfaisait pas à ces trois conditions devait être assimilée ou expulsée. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. 3.1 La religion orthodoxe L’État grec moderne, officiellement reconnu depuis 1830, n’a jamais été un État laïc. Même l’actuelle Constitution de 1975 est promulguée «au nom de la Sainte, Consubstantielle et Indivisible Trinité». Conformément au paragraphe 1 de l’article 59 de la Constitution, un serment à la Sainte, Consubstantielle et Indivisible Trinité doit être prêté par les députés et par le président de la République avant leur prise en fonctions dans le palais de la Chambre des députés et en séance publique. À l’article 3, la Constitution grecque reconnaît comme «religion dominante la religion de l’Église orthodoxe orientale du Christ» marquant par là que l’orthodoxie fait partie de l’hellénisme. Elle accepte «l’inviolabilité de la liberté de la conscience religieuse», mais interdit le prosélytisme, c’est-à-dire les efforts déployés pour défendre sa foi, à l’exception de l’orthodoxie grecque. Selon le ministère grec de la Justice, cette interdiction concerne «le prosélytisme de mauvais aloi» et non pas la diffusion des convictions religieuses, ce qui permettrait par ailleurs de protéger le pays de «toute religion dangereuse». N’oublions pas que la pratique du prosélytisme a souvent été sévèrement punie en Grèce: emprisonnement, amende élevée, surveillance policière et expulsion des étrangers. Jusqu'à une époque récente, un non-orthodoxe n’était pas considéré comme un «véritable Grec». À l’époque d’Homère, on qualifiait alors de «Barbares» tous les non-Grecs. Ainsi, à leur façon, les Grecs ont pu donner en Europe l’image de ce que pouvait être l’«intégrisme islamique» dans d’autres régions du monde. En Grèce, on a jadis très mal tolérer les exceptions. Mais, selon l’article 13 de la Constitution grecque, le liberté de religion est garantie comme «inviolable» pour tous les citoyens grecs. Selon un sondage paru le 13 février 2005 dans le quotidien Eleftherotypia, quelque 48 % des Grecs sont favorables à la séparation de l'Église et de l'État, et 35 % sont contre. L'attitude des Grecs vis-à-vis de la religion a tout de même beaucoup évolué. En 1993, le Parlement grec — soit tous les parlementaires grecs, qu’ils soient de gauche ou de droite — avait confirmé la loi rendant obligatoire la mention d'appartenance religieuse sur toutes les nouvelles cartes d'identité, malgré l'opposition des minorités juive et catholique, ainsi que de quelques députés et organisations non gouvernementales (ONG). La Grèce était alors le seul pays de l’Union européenne à imposer la mention de la religion sur les cartes d'identité. Les religions non orthodoxes reconnues étaient considérées par le gouvernement comme des «cultes étrangers», le Code pénal grec les désignant comme «tolérées». D’après le gouvernement grec (ministère de l’Intérieur, de l’Administration et de la Décentralisation), la mention de la religion sur la carte d’identité n’avait aucune valeur juridique. Cette mention correspondait simplement à l’expression d’une «tradition religieuse» et répondait aux «demandes faites par l’Église orthodoxe grecque». Puis le Parlement européen a demandé au gouvernement grec d’abolir toute mention de religion, même facultative, sur les nouvelles cartes d’identité grecques et de ne pas se laisser influencer par la hiérarchie orthodoxe. La résolution du Parlement européen affirmait que «la mention obligatoire de la religion sur les cartes d’identité viole les libertés fondamentales de l’individu, telles que celles-ci sont exposées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne des droits de l’homme». Le Parlement européen a même rappelé que la liberté d’opinion et de religion constitue l’un des fondements de l’État de droit et qu’une telle liberté est du ressort exclusif de la conscience humaine. Quoi qu'il en soit, la mention religieuse sur les cartes d'identité a été abolie par le gouvernement grec. N'oublions pas que la Grèce est passée d'un État théocratique à un État laïc moderne. Par exemple, l'état civil est une création récente dans un pays où seules les autorités religieuses tenaient les registres de chaque communauté. Dès lors, pour qu'un Grec du Dodécanèse puisse obtenir un passeport, il fallait parfois écrire à l'évêché pour obtenir l'acte de naissance des parents. 3.2 La langue grecque Dans les faits, le grec est la langue officielle de la Grèce sans qu’il ne soit nécessaire de le proclamer dans la Constitution. Citons néanmoins l’article 3 de la Constitution qui traite spécifiquement de la langue. Nous verrons comment sont interreliés la langue et la religion. Cet article ne définit pas le statut de la langue officielle en Grèce, mais celui de la langue officielle de l’Église autocéphale de Grèce, sans même nommer cette langue:
Comme pour le judaïsme en Israël, la religion orthodoxe en Grèce revêt une dimension ethnique très forte que l’État se doit de défendre. C’est ce qu’on appelle une «démocratie ethnique», comme il en existe en Israël, en Croatie, en Serbie, etc. De plus, la Constitution grecque définit l’éducation comme une «mission fondamentale de l’État ayant comme but [...] le développement de la conscience nationale et religieuse des Grecs». En vertu de ces principes, l’enseignement religieux, selon le rite de l’Église orthodoxe, est obligatoire dans toutes les écoles primaires et secondaires; il est, de plus, interdit d’embaucher des professeurs non orthodoxes; par ailleurs, l’autorisation d’un évêque orthodoxe est obligatoire pour la construction ou la réparation des lieux de culte des autres religions. Et il ne faudrait pas croire que ce sont là des détails sans importance! Qu’on pense aux problèmes auxquels les membres des autres confessions religieuses doivent faire face lorsque, par exemple, ils veulent faire éduquer leurs enfants selon les préceptes de leur religion. Les enfants devront-ils, malgré tout, recevoir un enseignement conforme aux rites de l’Église orthodoxe grecque? Comment feront-ils pour embaucher des professeurs non orthodoxes? L’autorisation d’un évêque est-elle une simple formalité lorsqu’il s’agit, par exemple, de réparer une mosquée? Ce sont là d’énormes problèmes auxquels sont confrontées les minorités en Grèce, et il ne faut pas en minimiser l’importance pour une raison bien simple: les minorités linguistiques ne correspondent à aucune réalité juridique en Grèce, seules sont «tolérées» les minorités religieuses. D’ailleurs, dans ce pays, il est considéré comme «normal» que des personnalités politiques importantes nient l’existence des minorités ethniques, que ce soit les Turcs, les Macédoniens, les Bulgares, etc. Par exemple, le 24 juin 1996, la Commission européenne des droits de l'homme a jugé recevable l'appel du Foyer de la civilisation macédonienne, qui avait été refusé par les instances grecques du fait qu'«il n'existait pas de minorité macédonienne» et que cette association mettait en danger «l'intégrité territoriale du pays». Il ne s’agit là que d’un exemple (et il y en aurait bien d'autres!), mais il donne une idée de l’attitude des Grecs devant leurs minorités linguistiques. 3.3 L’hellénisme On sait aussi que, de tout temps, les historiens ont souligné la notion d'hellénisme dans l’identité nationale grecque. L'hellénisme demeure une notion culturelle: est grec celui qui a reçu une éducation hellénique. Forte de plusieurs millénaires, cette identité continue d'influencer profondément la société grecque moderne. La situation géographique et l'histoire de la Grèce avec les pays voisins, notamment la Bulgarie et la Turquie (les ennemis historiques), constituent des facteurs qui expliquent cette importance si grande. Toutefois, ces mêmes facteurs peuvent aussi engendrer un ethnocentrisme excessif. D’ailleurs, la Grèce a fort à faire pour améliorer sa réputation plutôt médiocre en matière d’intolérance à l’égard de toute différence et de xénophobie envers les étrangers (ou les minorités). À ce sujet, on peut rappeler quelques résultats d’un sondage européen effectué en 1993 sur la perception des Grecs à l’égard de leurs minorités nationales: 89 % des Grecs trouveraient les Turcs antipathiques, 76 % auraient un préjugé défavorable envers les Arvanitès (Albanais), 57 % envers les Juifs et 55 % envers les Tsiganes. De plus, 84 % de la population considère que «beaucoup d'étrangers vivant en Grèce constituent un danger public» et 90 % croient qu'ils «usurpent le travail des Grecs». Ce n’est pas pour rien que tous les groupes minoritaires en Grèce, tant chez les ressortissants grecs que chez les immigrants, disent éprouver une impression d'aliénation, car ils ont tous été confrontés à la xénophobie des grécophones et à la violence de la part de la police, tandis que les tribunaux ont souvent violé ou supprimé leurs droits. Or, la Grèce connaît, depuis quelques années, une hausse sensible de l'immigration, régulière mais aussi et surtout clandestine; il semble évident qu'elle n'a pas toujours disposé de structures et de procédures efficaces pour y faire face. De toute façon, il semble évident que l’hellénisme si cher aux Grecs est en train de creuser un fossé de plus en plus grand entre les orthodoxes et les minorités nationales. 4 Les minorités reconnues: les musulmansEn Grèce, le gouvernement maintient que seules les minorités reconnues par des traités internationaux encore en vigueur sont reconnues officiellement. Or, il n’existe qu’une minorité en Grèce, reconnue par des traités internationaux: la minorité musulmane. Le traité de Sèvres de 1920, qui n’a jamais été en vigueur parce que la Turquie ne l’a pas appliqué, contient cette disposition (art. 85) qui référait à la langue et à la religion:
On peut consulter les autres dispositions du traité de Sèvres de 1920 en cliquant ICI. Dans le traité de Lausanne de 1923 (encore en vigueur) qui engageait la Turquie et la Grèce, les deux États convenaient d’un principe de réciprocité en vertu duquel les Grecs de Turquie obtiendraient les mêmes droits que les Turcs de Grèce (Thrace). C’est pourquoi l’article 45 contient cette disposition:
La position officielle de l’État grec sur la «minorité musulmane se trouvant sur son territoire» d’après le traité de Lausanne) est qu’il s’agit d’une minorité essentiellement religieuse. Selon l’interprétation de l’Administration grecque, cette minorité religieuse serait constituée de citoyens d’origine turque, pomaque et tsigane, ce qui exclut les Albanais musulmans, les Turcs chrétiens, les Aroumains orthodoxes, les Arméniens catholiques, les juifs, etc. Cette interprétation juridique n’est pas sans causer de multiples confusions puisque l’État n’accorde pas les mêmes droits à des communautés parlant la même langue mais pratiquement une religion différente (Turcs musulmans et Turcs chrétiens) et des groupes professant une même religion mais parlant une langue différente (musulmans turcophones de Thrace et musulmans albanophones). Autrement dit, la Grèce interprète de façon très restrictive l’article 45 du traité de Lausanne en ne protégeant partiellement que les Turcs musulmans de la Thrace occidentale, ce qui inclut les Pomaques et les Tsiganes considérés officiellement comme des Turcs. Il en résulte que, sur le plan linguistique, seul le turc est reconnu juridiquement comme langue minoritaire en Grèce. Qu’en est-il de ces droits en Thrace? 4.1 La représentation turque En Thrace, lors des élections, des interprètes sont présents pour assister les électeurs turcophones. Mais la loi électorale grecque fixe le seuil d’éligibilité à 3 % des voix exprimées au plan national. Or, il est extrêmement difficile pour les membres de la communauté musulmane d’être élus au Parlement grec à partir de leurs propres listes; il leur faudrait un quota minimum de deux députés, par exemple, car l’élection d’un candidat turc relève presque du miracle. D’ailleurs, les candidats turcs aux élections nationales seraient régulièrement éliminés et quelques rarissimes élus auraient même fait l’objet d’une contestation électorale, sinon de destitution, voire d’emprisonnement. Néanmoins, le Parlement compte régulièrement deux à trois élus turcs (souvent du PASOK, le Parti socialiste). De même, il existe des maires turcs en Thrace, mais uniquement dans les petites municipalités. Si Komotini ou Xanthi élisait effectivement un maire non grec, ce serait un véritable séisme local. Malgré tout, la plupart des élus des municipalités peuplées de turcophones sont des Grecs. 4.2 Les tribunaux En principe, les Turcs (incluant les Pomaques et les Tsiganes) ont le droit d’utiliser leur langue dans un tribunal de la Thrace, mais il est interdit au juge d’utiliser le turc au lieu de la langue officielle. Ceux qui désirent s’exprimer en turc ou qui ne connaissent pas le grec (ce n’est pas rare chez les plus de 50 ans en Thrace) doivent recourir à un interprète. Il existe à cet effet un certain nombre d’interprètes agréés par l’État. Cependant, seul celui de Xanthi reçoit une rétribution pour son travail. De façon générale, la cour fait appel à un volontaire parmi le personnel judiciaire lorsqu’elle a besoin d’un interprète. Cette procédure fréquemment utilisée n’apparaît pas très conforme à la loi, car certains points importants peuvent être jugés non pertinents par l’interprète improvisé et omis dans sa traduction. Cela dit, il existe un autre type de tribunal: les müftülüks. Dans chacune des trois préfectures de la Thrace occidentale, on compte un müftülük, une sorte de tribunal musulman habilité à juger les questions de droit familial et successoral. L’autorité musulmane suprême est représentée par un müfti qui dispose d’un pouvoir judiciaire qu’il délègue à un cadi (juge religieux). Celui-ci applique le Code civil grec dans les mariages, les divorces, les décès, l’émancipation des jeunes, les testaments, etc. Quant au müfti, il choisit en plus les candidats à l’Université coranique musulmane. Généralement, toutes ces affaires se déroulent en turc, tant à l’oral qu’à l’écrit. Cependant, depuis l’adoption de la loi no 1920 du 4 février 1991, les décisions des müftis ne sont plus forcément exécutoires, car elles n’ont plus aucune valeur légale. Un tribunal de première instance a même refusé de reconnaître les effets de la loi islamique sur le Code civil grec. Depuis ce temps, les müftis sont harcelés par les autorités grecques, surtout les müftis élus par les associations minoritaires — il y a aussi des müftis nommés par l’État. Certains müftis élus, par exemple dans les villes de Xanthi et de Komotini, ont été condamnés à des peines de prison pour «manifestation d’autorité», alors qu’ils avaient seulement utilisé leur titre de müfti dans des documents écrits. Le problème des muftis est le même que celui des imams en France. L'islam ne connaît pas de clergé institué, donc peut se déclarer imam ou müfti toute personne élue par une communauté donnée. Le problème est grand quand le jeu devient politique entre consulat de Turquie et autorité régionale grecque. Pour éviter que se multiplient des muftis professant des idées nationalistes, les autorités grecques ont décidé d'obliger les müftis à être agréer par les autorités régionales, un peu comme ce qui se fait en France avec les imams pour limiter les moquées islamistes. Évidemment, une telle initiative est source inévitable de conflits au niveau local. 4.3 L’Administration publique Le turc est absent de tout usage officiel dans l’Administration grecque, puisqu’en vertu du traité de Lausanne la langue de la minorités doit concerner les affaires religieuses (celles de l’islam). Ainsi, tous les services gouvernementaux, incluant les hôpitaux et les soins de santé, ne sont assurés qu’en grec. Depuis 1977, tous les noms de lieux et noms de rues de trois préfectures où les Turcs sont concentrés ont été changés: les noms turcs ont été supprimés et remplacés par des noms grecs. De plus, un décret interdisait l’emploi des anciens noms à des fins officiels sous peine d’amende ou d’emprisonnement. La mention du toponyme ou de l’odonyme turc entre parenthèses après ou en- dessous de celui en grec a été également interdit par les autorités. Cette pratique a été étendue à tout le pays et il n’existe à l’heure actuelle aucune affiche en une autre langue que le grec ou... l’anglais. En effet, l'affichage en langue anglaise est accepté dans les lieux touristiques pour des raisons pratiques. En fait, cette tolérance ne change en rien la règle de l'unilinguisme grec aux dépens des langues minoritaires du pays (macédonien, bulgare, turc, albanais ou arménien). Le gouvernement grec a lui-même reconnu il y a quelques années qu’il existait un régime de discrimination administrative au détriment des minorités. Depuis, l’Administration grecque en Thrace semble plus tolérante. Des fonctionnaires turcs prennent l’initiative de diffuser des communiqués et autres publications pratiques en turc, sans trop encourir de tracasseries administratives. 4.4 Les droits scolaires C’est encore le traité de Lausanne qui a fixé le cadre de l’enseignement en turc pour la Thrace. Mais cet enseignement ne s’est réellement concrétisé qu’au cours des années cinquante. Depuis, le gouvernement a adopté une série de lois scolaires réglementant l’accès et les droits à l’enseignement en turc: la loi 694 du 16 septembre 1977 sur les écoles minoritaires de la communauté musulmane de la Thrace occidentale; la loi 682/1977 sur l'instruction privée; la loi 695 du 16 septembre 1977 sur le règlement des problèmes concernant l'enseignement et le personnel de surveillance dans les écoles minoritaires et à l’École normale spéciale; le décret ministériel no 55369 du 16 mai 1978 sur les problèmes d'inscription, de transport, des études, des examens, des diplômes et autres sujets scolaires relatifs aux écoles minoritaires de la minorité musulmane en Thrace occidentale. Conformément à la législation en vigueur, la parents turcophones ou considérés comme tels (par exemple, les Tsiganes et les Pomaques) ont le droit d’exiger, sur demande expresse, que leurs enfants fréquentent une école primaire — il n’y a pas d’écoles maternelles turques — où l’on garantit un enseignement en turc dès la première année. Cet enseignement est assuré durant les six années du primaire et il est cofinancé par l’État grec. Toutes les écoles turques — de confession musulmane — sont ouvertes aux Pomaques et aux Tsiganes, mais aussi aux slavophones (orthodoxes) habitant en Thrace occidentale. On dénombre environ 250 écoles primaires turques regroupant quelque 12 000 élèves. Toutes ces écoles sont tenues d’offrir un enseignement bilingue: la moitié des disciplines est enseignée en turc, l’autre, en grec. Depuis la nouvelle loi scolaire de 1995, l’enseignement de l’anglais et devenu obligatoire. Au secondaire, l’enseignement en turc n’est plus garanti; on ne compte que deux écoles secondaires turques, qui doivent demeurer bilingues et exiger à l’admission la réussite d’un examen en langue grecque. C’est pourquoi une majorité d’élèves (de 60 % à 70 %) préfère poursuivre ses études en Turquie; les autres fréquentent les établissements grecs. Pour ce qui est de l’enseignement supérieur, jusqu’en 1991, tous les turcophones (et les autres minorités) étaient exclus de l'enseignement supérieur sous prétexte qu'ils ne connaissaient «pas suffisamment le grec». Ceux qui désiraient fréquenter l’université devaient s’expatrier en Turquie. Depuis 1995, la loi scolaire oblige les universités de Thrace à pratiquer un programme de discrimination positive à l’intention des élèves turco-musulmans désirant accéder aux études supérieures. La loi prévoit que 200 places (soit 2 %) doivent obligatoirement être occupées par des étudiants musulmans. Jusqu’ici, environ 50 élèves ont soumis chaque année une demande d’admission dans ces universités. Cela dit, les écoles turques vivent de graves problèmes. Le plus préoccupant semble concerner la formation insuffisante des enseignants. Avant 1968, la plupart des professeurs embauchés provenaient du monde arabe en raison de leur familiarité avec l’islam. Depuis, seuls les musulmans diplômés de l’École normale spéciale de Thessalonique et ceux des universités grecques ont le droit d’enseignement dans les écoles turques de Grèce. Or, les futurs professeurs grécophones orthodoxes, même après quatre années d’études, ne reçoivent aucune formation pour enseignement le grec comme langue seconde, alors que les candidats turcophones ne bénéficient que d’une formation sommaire de deux ans. Un autre problème provient de la mauvaise qualité des manuels scolaires de langue turque. La plupart des élèves disposent encore de vieux manuels datant des années cinquante. La cause est complexe : la Turquie ne veut pas que soient imprimés en Grèce des manuels en turc, car elle estime qu'elle seule peut fournir de tels manuels. Mais la Grèce bloque l'importation de manuels turcs en rétorsion à la non-application des accords de Lausanne par la Turquie. Lorsque le gouvernement grec a déjà, dans le passé, fait imprimer certains livres modernes en turc, il s’est heurté à une vivre opposition non seulement de la part de la Turquie, mais aussi de la part de la minorité. Pourtant, un ministre de l'Éducation, M. Georges Papandréou, le fils de l'ancien premier ministre, a admis en juin 1995 que le système scolaire grec véhiculait des stéréotypes racistes et antisémites, et que les manuels scolaires alimentaient non seulement l'antisémitisme, mais aussi les sentiments de xénophobie. Pour les manuels scolaires grecs, plusieurs commissions bilatérales de révision des manuels ont été instituées entre la Grèce et la Turquie et, récemment, entre la Grèce et l'Albanie. Le but est de nettoyer les mentions hostiles et xénophobes vis-à-vis des voisins dans chacun de ces pays. Pour la vétusté des manuels turcs, c'est une situation indéniable. Par ailleurs, l'état de l'enseignement aux Grecs de Turquie est encore plus lamentable (nomination des enseignants systématiquement reportés au second trimestre empêchant la tenue des enseignements durant l'automne, manuels datant des années cinquante, écoles confisquées régulièrement par l'État). Dans ce jeu de chassé-croisé diplomatique, les minorités de Thrace s'avèrent être les éternels otages. Enfin, les faits démontrent qu’un nombre important d’élèves habitant les régions rurales et les villages ne complètent pas leur secondaire. Conséquemment, beaucoup d’entre eux sortent de l’école primaire avec une connaissance plus ou moins limitée de la langue grecque. 4.5 Les médias Les turcophones se sont dotés de plusieurs journaux (une dizaine de périodiques) diffusés dans leur langue. Il y a peu de temps, les journalistes turcs étaient souvent harcelés par la police qui les empêchait de faire leur travail. Il en était ainsi pour les journalistes étrangers qui voulaient faire des reportages, par exemple, sur les Turcs, les Macédoniens ou les Bulgares. Cependant, cette situation n'a plus cours. Pour qui lit régulièrement la presse grecque, un effort semble être fait depuis quelques années en faveur d'une meilleure perception des étrangers, tandis que les dérives xénophobes sont régulièrement l'objet de critiques. De même, la presse turque en Thrace est globalement libre, même s'il y a une volonté des autorités locales de maintenir le statu quo, la peur principale est un dérapage à la bosniaque. La radio d’État diffuse quotidiennement en turc de courts bulletins de nouvelles et quelques rares programmes d’information. La mairie de Komotini en Thrace retransmet depuis quelques années une chaîne privée en langue turque. Comme les ondes ne sont plus brouillées entre la Grèce et la Turquie, les turcophones de Grèce peuvent capter, grâce à des antennes paraboliques, la plupart des émissions de radio et de télé en provenance de la Turquie. La presse est libre en Grèce, mais un certain nombre de sujets permet l’emprisonnement de journalistes pour «diffamation» et «insulte», notamment les critiques à l’égard de la religion, les relations avec les pays voisins, surtout la Macédoine, la Bulgarie et la Turquie, et... la question des minorités. À ce propos, la presse grecque est reconnue en Europe comme étant l’un des plus grands générateurs de haine raciale dans ce pays. Les minorités nationales sont plus souvent qu’à leur tour prises à partie par les médias. 5 Les minorités non reconnuesLes minorités qui ne bénéficient d’aucun statut juridique sont, rappelons-le, les Turcs chrétiens, les Macédoniennes et les Bulgares, les Aroumains et les Albanais. Toutes ces minorités linguistiques n’habitent pas la Thrace et ne bénéficient pas des dispositions du traité de Lausanne. Il ne reste d’autre texte juridique que l’article 5 de la Constitution grecque de 1975:
Il s’agit de dispositions relatives au principe de la non-discrimination. Or, on sait ce que valent de telles dispositions. Pour simplifier, on peut dire que ces textes ont constitué un formidable écran de fumée destiné à endormir les puissances alliées de l’époque... et les minorités. Le traité de Lausanne en 1923 était peut-être révolutionnaire pour l’époque, mais les mentalités ont bien changé aujourd’hui en ce qui a trait aux minorités nationales... sauf en Grèce. La situation actuelle est très simple. Aucune des minorités mentionnées ici — Turcs chrétiens, les Macédoniens et les Bulgares, les Aroumains et les Albanais — n’ont obtenu aucun droit linguistique quelconque. En effet, ils ne bénéficient d’aucun service public ni d’aucune présence dans l’enseignement. Un exception: les slavophones de la Thrace peuvent fréquenter les écoles de langue turque si cela leur convient. Dans les médias, les Albanais et les Aroumains n’ont pas de journaux et encore moins d’émissions radiophoniques ou télévisées. Dans certaines régions slavophones, il est possible de capter des émissions en provenance de radios ou de stations de télévision de la Bulgarie et de la république de Macédoine. Par ailleurs, un mensuel bilingue (grec-macédonien) est publié à Florina. 6 La propagande anti-minoritaireEn Grèce, il est considéré comme normal que des personnalités politiques importantes prennent ouvertement position pour nier l’existence des minorités ethniques, que ce soi les Turcs, les Macédoniens, les Albanais, etc. D’ailleurs, en décembre 1998, le ministre grec des Affaires étrangères, M. Thedoros Pangalos, ne déclarait-il au sujet de la question des minorités à des journalistes occidentaux: «C’est une invention d’intellectuels et de journalistes pervers.» On peut trouver d’autres cas similaires. Ainsi, en août 1998, le président du Parlement grec, M. Apostolos Kaklamanis, a nié l'existence d'une minorité nationale turque et appelé à «l'homogénéisation» de la «population grecque orthodoxe et musulmane de la Thrace». En décembre de la même année, de savants nationalistes grecs ont été honorés par l’Académie de Grèce et décorés par le président de la République, alors qu’ils avaient ouvertement contribué à la propagande anti-minoritaire. L’État grec reste le seul État balkanique qui refuse encore de reconnaître l'existence de minorités nationales sur son territoire. 6.1 Les Turcs La Turquie constitue l’un des sujets les plus litigieux qui soient dans le pays et la langue turque apparaît comme le symbole de l'ennemi héréditaire de la Grèce. Les conflits incessants entre la Grèce et la Turquie à propos de l’île de Chypre revendiquée par les deux États n’ont certes pas aidé la cause des «Turcs de Grèce». Depuis de nombreuses années, la Grèce a même développé une véritable politique répressive à l’égard de «ses» Turcs. Plusieurs faits peuvent illustrer cette réalité. Il y a plusieurs dizaines d’années, en France, on punissait les enfants bretons qui parlaient breton à l’école. En Grèce, on punissait encore, il y a quelques années seulement, les petits enfants qui parlaient bulgare, albanais ou turc en les confiant à des crèches hellénophones d’État pour leur faire apprendre le grec. On ne fait plus cela aujourd’hui, mais il est curieux de constater que les autorités aient interdit l’emploi de l’adjectif turc dans les titres identifiant les associations et autres formes de corporation publique. C’est ainsi qu’en 1986 l’Association des enseignants turcs de la Thrace occidentale était dissoute par un tribunal de la ville de Komotini. En 1996, un professeur d’une école minoritaire de la ville de Xanthi a été suspendu pour une année parce qu’il avait qualifié son école d’école turque plutôt que d’école de la minorité. De façon générale, il est illégal de nommer turc / turque un établissement public ou une association quelconque. C’est pourquoi toutes les associations dites «turques» ont été dissoutes. D’après de nombreux journalistes, les «musulmans turcs» font régulièrement l’objet de répression de la part des forces policières et de l’administration grecque. Il est illégal d'employer le terme turc, car il transgresse les accords de Lausanne, et c'est aussi pour les Grecs une mesure d'équivalence à l'interdiction du terme grec en Turquie. Pensons que le patriarcat grec orthodoxe d'Istanbul doit d'appeler officiellement «patriarcat turc orthodoxe» (Türk rumi patriarcanesi). En octobre 1998, un tribunal de Komotini a refusé à des musulmans l'inscription de l'«Association d'ecclésiastiques des Saintes Mosquées de Thrace occidentale», parce que les mots «Thrace occidentale» «pouvaient être interprétés comme un défi malveillant et intentionnel lancé au caractère grec de la Thrace». Le tribunal en a décidé ainsi bien qu’aucune autre association ne comportait dans sa dénomination ce nom par ailleurs encore employé comme terme géographique en Grèce. Mais il n’y a pas que les Turcs de Grèce qui se plaignent de l’attitude répressive de l’État à leur égard. De même, si le terme de Thrace occidentale est refusé, il en va de même en Turquie où le terme de Thrace orientale est tabou: il rappelle en effet que cette région appartenait à la Grèce jusqu'en 1923. 6.2 Les Macédoniens On connaît l'antipathie grecque pour le symbole même de la république de Macédoine, ce petit pays qui a dû changer jusqu'à son nom et son drapeau parce que la Grèce considérait que ceux-ci faisaient partie de son héritage historique. La Grèce continue de contester le nom de la «république de Macédoine» parce qu’elle considère qu'aucun autre pays n'a le droit de porter le même nom que la province de Macédoine du nord de la Grèce. Quant à la langue macédonienne, officiellement «elle n’existe pas», car c’est un «pseudo-langage» purement inventé par des idéologues. Toutefois, il ne faut pas oublier que dans l'article 1 de la Constitution macédonienne, au moment de son indépendance, avait rappelé sa «vocation» à «réunifier» tous les territoires «macédoniens», soit en fait la Macédoine grecque, d'où proviennent les insignes et le premier drapeau en question de ce jeune pays. Certains croient aussi que la république de Macédoine n'a pas à s'attribuer exclusivement une appellation régionale («Macédoniens») que les Albanais, les Grecs et les Bulgares partagent aussi. Le fond du problème est que la «Macédoine» a failli faire renaître le «conflit macédonien», si sanglant, du début du XXe siècle, ce qui explique le caractère enflammé des réactions de part et d'autres (en Bulgarie aussi). N'oublions, pour la petite histoire, que c'est précisément en Macédoine, alors ottomane, qu'a été créé le premier mandat international avec gendarmerie étrangère, à l'image ce qui existe de nos jours en Bosnie, ce qui permet de mieux saisir la dimension du problème, moins insignifiant qu'il n'y paraît de prime abord. Les autorités de Skopje, à la recherche compréhensible d'une doctrine historique assurant la cohésion du pays, cultivent depuis volontairement la confusion entre le terme géographique de Macédoine et le terme historique, poursuivant cette exploitation systématique de l'histoire antique si caractéristique des Balkans. Ainsi, dans les écoles de «Macédoine», il est actuellement enseigné qu'Alexandre le Grand était «macédonien» (soit «slave macédonien» dans ce contexte) et qu'il parlait déjà le «slave», et ce, neuf siècles avant l'arrivée des populations slaves dans la région! La minorité macédonienne de Grèce se plaint d’être harcelée et maltraitée par la police en plus d’être privée de sa liberté d’expression. L’organisation Amnistie International a souvent protesté contre le fait que des Macédoniens seraient même physiquement torturés par la police. De plus, les Slaves macédoniens affirment qu’il ne leur est pas permis d'ouvrir des écoles publiques pour instruire leurs enfants dans leur langue maternelle. D'ailleurs, la Grèce a déjà été condamnée par le Tribunal européen pour les Droits de l'homme pour la violation de la liberté d'association parce que les tribunaux grecs n'ont pas permis en 1990 la création de la Maison de la civilisation macédonienne. Le Tribunal européen a mentionné qu’il était nécessaire pour le gouvernement grec de respecter les documents de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coordination en Europe) qu'il avait signés, mais qu'il avait considérés comme étant simplement déclaratifs et sans valeur juridique. 6.3 Les Bulgares Quant aux Bulgares, il n’en est jamais fait mention dans le pays. Les minorités bulgares sont ignorées parce qu’ils font partie, avec la Grèce, des ennemis historiques de la Grèce. La Bulgarie ne reconnaît pas plus de minorités (contrairement à la Roumanie) et la situation des Grecs de Bulgarie n'est pas reluisante. Toutefois, les Bulgares ne représentent plus depuis les années soixante-dix des «grands ennemis», date à laquelle Grecs et Bulgares ont cessé leur revendication territoriale croisés et ont allégé leur dispositif militaire. 6.4 Les Arvanitès Les Arvanitès (Gréco-Albanais), pour leur part, sont devenus la cible d’une politique radicale d'assimilation; le gouvernement grecs a interdit l’emploi public de la langue maternelle et les noms de lieu albanais ont été hellénisés. Quant à la minorité tsigane, elle est systématiquement soumise à la discrimination dans les domaines de l’éducation, de l’emploi et du logement, et est régulièrement expulsée et violentée par la police grecque. 7 Le droit international et les minoritésLa législation grecque interdit la discrimination fondée sur l'origine ethnique, mais l'article 19 du Code de la nationalité prévoit que les citoyens grecs qui n'appartiennent pas à la communauté de souche grecque peuvent être déchus de la nationalité lorsqu'ils quittent le pays; les autorités grecques considèrent que ces citoyens partent sans esprit de retour. En 1994 et en 1995, un certain nombre de personnes ont été touchées par de telles mesures: quelque 60 000 citoyens grecs, principalement d’origine turque, ont été ainsi privés de leur nationalité. L'abrogation de cet article a déjà fait l'objet d'un vaste débat public et le Conseil de l’Europe considère que l'ajustement du Code de la nationalité sur la législation européenne commune devrait se faire sans plus tarder. Après de multiples pressions internationales, la Grèce a finalement consenti à abolir son article 19 du Code de la nationalité. Il n’est pas dû au hasard que la Grèce n'ait pas encore signé ou ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Convention de l'UNESCO concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement. Il serait urgent qu'elle le fasse au plus tôt. Heureusement, en 1997, le gouvernement grec a signé mais non ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales. Bien sûr, le gouvernement a déclaré que la Convention ne s'appliquerait qu'à la minorité musulmane, puisque c'est la seule reconnue. En outre, le Conseil de l’Europe recommande à la Grèce d’accepter l'article 14 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et d’envisager la signature et l'adoption de l'Accord européen concernant les personnes participant aux procédures devant la Commission et la Cour européennes des droits de l'Homme. Enfin, on espère que la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, actuellement en cours d'examen au Parlement grec, interviendra dans les plus brefs délais. À l'heure actuelle, il n'existe pas en Grèce d'organisme spécialisé chargé des questions de racisme et d'intolérance. Pourtant, le pays est encore aux prises avec un évident climat de xénophobie, bien encré non seulement dans les mentalités, mais surtout dans les médias et l’Administration publique. Selon le Greek Helsinki Monitor, les décisions gouvernementales destinées à instaurer le respect des normes internationales en matière des droits de l’homme ou des droits des minorités linguistiques se heurtent trop souvent à la résistance de la part de fonctionnaires qui agiraient comme un «État fantôme» et saperaient systématiquement les quelques rares politiques d’ouverture du gouvernement. Par ailleurs, celui-ci semble se montrer réticent quand il s’agit de s’opposer à cette résistance bureaucratique. Terminons en relevant un fait datant du 2 février 2001, qui illustre la perception qu'on a des langues des minorités en Grèce. Le 1er juillet 1995, lors de la Rencontre panhellénique annuelle des Aroumains (Société de culture aroumaine) à Naoussa, M. Sotiris Bletsas, un architecte grec, a remis au président de ladite association une publication en langue anglaise du Bureau européen pour les langues moins répandues, dans laquelle il était mentionné que dans certaines régions de Grèce on parle, outre le grec, «cinq autres langues». L’architecte fut poursuivi pour «diffusion de fausse information » et déféré devant la 10e cour d’Athènes, le 2 février 2001. Lors du procès, la cour a décidé que la mention des «langues autres que le grec» parlées en Grèce constituait «un délit criminel». Et le tribunal a condamné l’accusé Sotiris Bletsas à 15 mois de prison et à 500 000 drachmes (environ 1300 $US), l'accusé ayant même aggravé son cas en faisant référence à son «idiome» maternel, le turc. Des députés du Parlement européen ont dénoncé l’article 191 du Code pénal grec qui permet de telles accusations se référant au concept de «dissémination de fausses information». Selon la 10e cour d’Athènes: «Nulle part en Grèce on ne parle d'autre langue que le grec.» Le procureur du gouvernement grec a déclaré ce qui suit à l’issue du procès:
Il a été également question du Bureau pour les langues moins répandues, l’organisme responsable du texte incriminé. Le président de la cour a conclu ainsi: «Peut-être que les Européens n’ont pas été bien informés. La personne qui a rédigé le texte devrait être identifiée et en subir les conséquences.» Comme quoi le ridicule ne tue point! En fait, les Grecs font la vie dure aux Turcs de leur pays, mais les Turcs de Turquie font de même à «leurs» Grecs. Il semble que la Grèce redoute une éventuelle balkanisation de son territoire et qu’elle chercherait ainsi à se protéger de ses puissants voisins turcs. De toute façon, la politique linguistique de la Grèce n’est pas excusable. Lorsqu’un État ne peut même pas accepter la présence d’une faible minorité représentant 3 % de la population dont il n’a rien à craindre, on ne parle même plus d’intolérance, mais de sectarisme et de fanatisme. Pourtant, la Grèce, qui prétend offrir au monde l’image d’un régime démocratique, ne reconnaît aucunement ses minorités linguistiques et ne leur accorde que des droits fort limités (quand elle en accorde). En effet, en 1997, le président de la République, M. Kostis Stephanopoulos, faisait la déclaration suivante au Conseil de l'Europe:
Il terminait en citant cette phrase célèbre de Périclès (de -495 à -429): «Nous avons un régime politique qui n'a rien à envier à celui des autres». Comme quoi la naïveté n’a jamais fait mourir personne, parce que, sur la question des minorités nationales, la Grèce en est presque encore au siècle de Périclès! Sans un changement fondamental de sa politique, la Grèce risque d’être prochainement pointée du doigt par les organisations gouvernementales européennes et les organisations non gouvernementales qui surveillent le respect des droits de l’homme et des droits des minorités dans l’ensemble de l’Europe. La Grèce demeure l’un des rares à ne pas avoir ratifié les traités internationaux de l’Union européenne reconnaissant des droits réels aux minorités. L’attitude de ce pays prétendument démocratique est actuellement non seulement indéfendable mais proprement scandaleuse. La Grèce en est restée à la mentalité qui a prévalu au traité de Lausanne de 1923. Si celui-ci a paru révolutionnaire pour l’époque, les mentalités ont bien changé depuis en ce qui concerne les minorités nationales... sauf en Grèce. Dernière mise à jour: 13 févr. 2006
Auteur : Jacques Leclerc «Grèce» dans L'aménagement linguistique dans le monde,Québec, TLFQ, Université Laval, 13 Février 2006,[http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/europe/grece.htm], (13 JUIN 2008), |
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